Mercredi après-midi, le Cantal grelotte. Le village de Salers, blotti dans sa neige d’une décade, à 950 mètres d’altitude, et alors que le thermomètre affiche -4°C, ne semble pas s’en émouvoir. Ici, tout semble être devenu plus lent, plus doux. Plus feutré.
Les paysages, enveloppés dans un épais et lourd manteau, donnent sans doute le ton. L’heure n’est pas à la vitesse ni à la précipitation, mais davantage à la prudence et à la contemplation.
La pouzzolane tranche avec le blanc ambiant
Les Sagraniers croisés dehors, hier, semblaient répondre à un même message de prudence : les yeux rivés au sol pour caler leur pas dans « la trace » ou en visant les passages où la pouzzolane donnait un peu d’adhérence et une couleur plus acajou au sol.
Sans ça, le blanc régnerait, sans partage, des ruelles aux cours et toits en passant par l’horizon : Salers s’est incroyablement paré de blanc. Et de mémoire de Sagraniers, il est dur de se souvenir d’un tel cumul de neige.
Rien de tel depuis les années 1980
« Depuis 1981, je dirais… » avance Philippe, depuis la rue des Nobles, où ce lorrain habite depuis quarante ans. « Rien de semblable depuis 1989 », adjuge, assez sûre d’elle, Gaëlle Emounerie. La jeune femme, n’en a, en tout cas, jamais vu autant dans les rues de Salers, où elle a tous ses repères.
« Il y en a bien 80 centimètres là », croit voir Philippe, en désignant son jardin à l'arrière de sa maison en pierre.
Mètre en main, ce sont finalement 65 centimètres qui seront toisés. Pas si mal quand même...
« Ce qui est très remarquable c'est la grande quantité, en aussi peu de temps finalement. Une telle couche en trois-quatre jours, c'est exceptionnel, oui » SYLVIE GANRY (Directrice de l'office de tourisme de Salers)
« Il doit bien y en avoir 70 centimètres par endroits. Sans parler de là où elle a été poussée?! Les enfants en ont même fait un igloo. Ils ont bien creusé dans le monticule formé par le chasse-neige : c'est réussi ! »
Même gamine, je ne sais pas si j’ai déjà vu ça… Des hivers avec le sol blanchi, oui. Mais là, c’est exceptionnel !
Rieuse, la responsable du restaurant Les Remparts, avec la splendide vue panoramique sur les monts du Cantal, est surtout bonne joueuse, vu la situation.
La voiture dissimulée sous la neige
Hier, pelle en main, on la distinguait d’abord à peine derrière sa voiture complètement prise sous la neige depuis le 28 décembre. Il fallait bien qu’elle s’attelle à déneiger son véhicule dont on distinguait à peine la couleur, sous un monticule de poudreuse, maintenant glacée.
« J’ai attendu jusque-là, mais je dois prendre la route demain. Il faut au moins que je récupère le siège enfant à l’arrière, pour le mettre dans une autre voiture… », sourit-elle. Juchée sur le toit de l’auto, sa fille Anaïs, presque cinq ans, l’aide à dégager le véhicule. Pour la fillette, c’est plus clair : c’est évidemment la première fois qu’elle voit autant de neige.
L’ivresse d’une descente en luge, en pleine nuit
« Et j’adore ! » éclate-t-elle dans un grand sourire. L’instant d’avant, elle avait descendu une longue chandelle de glace qui tombait d’un toit et avait aspiré le glaçon façon glace à l’italienne.
« Je ne sais pas si elles en reverront souvent des hivers comme ça… C’est quand même de moins en moins souvent. Alors j’espère qu’elles s’en souviendront de celui-ci » souhaite Gaëlle en faisant défiler, sur son téléphone les photos et vidéos prises le soir du réveillon de la Saint-Sylvestre. Ce soir-là, avec ses cousins, la mère de famille a retropédalé dans l’enfance et dévalé à toute allure la piste de luge qu’elle venait d’aménager pour les petits.. GAËLLE EMOUNERIE
« Pendant toutes les vacances, les enfants n'ont pas touché la tablette ni les jeux vidéos. Ils étaient dehors, à faire de la luge, sur la piste qu'on a damée. Ceux qui avaient une luge la prêtait à ceux qui n'en avaient pas. Depuis combien de temps on n'avait pas vu ça ? », questionne la mère de famille qui savoure avoir vécu un moment assez particulier, comme hors du temps, ces derniers jours.
« Nous, les grands, on n’a pas résisté non plus. À 3 heures du matin, on était sur les luges et c’était super. Finalement, ça faisait des années que je n’avais pas passé un aussi bon réveillon. Ça fait longtemps qu'on n'avait pas autant ri ! Après l'année qu'on a passé, ces bons moments -là ont quand même une sacrée saveur. C'est génial.»
Est-ce que cela va durer ? Peut-être... « Vous avez eu combien, vous à Aurillac, ces nuits dernières ? -5°C ? -6° C ? Nous, on a déjà eu -14°C... », observe Philippe.
Avec ces températures, ni vent ni pluie derrière, la neige fixée au sol risque bien de rester ! Pour le plus grand plaisir des petits Sagraniers (et même de leurs aînés).
Marie-Edwige Hebrard
Photos : Marjolaine Guillouard