Le petit Lewis était pressé. Prévu pour arriver au début du mois de février, il a décidé de pointer le bout de son nez, le 12 janvier. Il est donc né dans la ferme familiale, à deux pas de Salers, avec trois pompiers pour assister la maman, en guise de sages-femmes. Émotions garanties…
Il aura une carte d’identité unique. Rares sont les Cantaliens qui, aujourd’hui, naissent ailleurs qu’à Aurillac ou Saint-Flour. Le petit Lewis pourra fièrement assurer qu’il est né le 12 janvier 2023, à la ferme Al Païs, au « Mouriol », hameau de Saint-Bonnet-de-Salers. Il a fallu remettre à jour le logiciel de la mairie, qui ne savait pas faire un acte de naissance…
Bouquet apporté par les pompiers sur la table, la maman, Ambre, parvient à en rire. « Il était 5 h 30 quand une contraction m’a réveillée. J’ai tout de suite envoyé un texto à mon compagnon, qui était à l’atelier de transformation… », raconte-t-elle.
Le couple craignait une arrivée prématurée, et « cela faisait plusieurs semaines que je ne dormais pas, que j’avais des contractions, mais cette nuit-là, pas de problème. Là, j’avais une minute de contraction toutes les deux minutes. Normalement, ça vient crescendo… »
« Quand on voit “parturiente” s’allumer, on ne perd pas de temps en mettant les chaussettes ! », se marre Denis Magne, agriculteur et pompier volontaire. « On a été prévenu vers 6 heures, à 6 h 10, on était ici, raconte Olivier Laporte, chef cuisinier. C’est un gros stress, on vit mieux un arrêt cardiaque. On fait 110 interventions par an, c’est presque uniquement ça ! On sait faire, on a le protocole en nous… »
Alors que là… « On a huit heures de formation par an, depuis la fermeture de la maternité de Mauriac. Par contre, on est tous parents, ça nous a aidés… » Vite, très vite, ils s’aperçoivent qu’il est bien trop tard pour transporter la maman à Aurillac. Le Smur de Mauriac arrive, et de toute façon, il faut accoucher là : il n’y a pas le temps.
Elle se concentre sur Camille, son compagnon, broie la main de Jean-Luc Senotier, commerçant, troisième pompier de l’ambulance. « Il est arrivé et il a mis du temps à hurler. C’était vraiment là, le stress, sourit Olivier Laporte. Ensuite, c’était bon, on s’est tout de suite détendus. Et dès qu’on a fait le peau à peau, il s’est calmé… »
Ensuite, Ambre, Camille, Maël – le grand frère de 18 mois, même pas réveillé par l’affaire – et Lewis filent à la maternité. Pas de complication particulière, arrivé avec un mois d’avance, il pèse 3,490 kilos pour 50 centimètres.
Ce n’était pas franchement le plan. Ambre Engledow a bien vécu la grossesse en milieu rural, isolée avec son mari dans sa ferme, « on était bien suivi à Mauriac ». Mais pour l’accouchement, « je voulais que ça se passe à l’hôpital et je voulais la péridurale, comme pour le premier. Ce qui fait peur, ce sont les complications… »
Il n’y en a pas eu, « c’est ce qui fait que c’est un bon souvenir. Mais je n’étais absolument pas préparée. Sur un accouchement à domicile, il y a toute une préparation. Moi, je n’ai pas eu le temps de me dire qu’il arrive et il était là. C’est plus le fait que ce soit rapide que le fait d’accoucher à la maison qui m’a posé problème, finalement… » Même si « j’ai récupéré plus vite. L’après-midi, j’étais debout. Même Lewis, il était plus actif que son grand frère. »
Lui, il ne sait pas encore tout ça. Endormi contre la poitrine de son papa, il sourit les yeux fermés en entendant ses parents et les pompiers deviser. Il est pourtant bien un peu unique : Lewis Engledow est né le 12 janvier 2023, à Saint-Bonnet-de-Salers. Pas de rois mages dans cette petite ferme du Cantal, mais tout de même : ses parents auront été accompagnés par un artisan, un chef, et un agriculteur, un petit matin d’hiver…
Texte : Pierre Chambaud
Photos : Jérémie Fulleringer
Les trois pompiers ont eu droit à la tournée des grands-ducs à Aurillac, quand ils ont quitté la maternité. Des accouchements, « il y a des pompiers qui n’en font pas sur toute une carrière », souligne Denis Magne. Sur les deux centres de Saint-Martin-Valmeroux et Salers, il y en a eu trois, en… 17 ans, et deux en 2 ans. Mais il n’aurait pas fallu un grain de sable. Ce matin-là, à 6 heures, ils n’étaient que trois disponibles pour le centre de secours : l’un est artisan-commerçant, l’autre est agriculteur, le troisième travaille aux Remparts, un restaurant, et a une convention avec son employeur. Un de moins, et il aurait fallu faire un renfort de Saint-Martin-Valmeroux. Le délai aurait été maintenu, mais ils n’auraient été que deux dans un premier temps. Le centre de Salers, comme tous les centres du Cantal, recrute, a besoin de forces vives. Ces dernières années, leur zone d’intervention s’est agrandie, et ils ont aussi des carences ambulancières à réaliser, alors que « ce n’est pas notre métier, ce n’est pas de l’urgence… » Résultat : ils prennent sur eux.
Aux Remparts, Olivier Laporte part grâce à une convention, même s’il travaille, sans retenue sur salaire ni rattrapage des heures – « À 4 € de l’heure, sinon, je n’irai pas. » Denis Magne, agriculteur, nourrit les bêtes à volonté : « On sait quand on part, on ne sait pas quand on arrive. » De belles histoires d’engagement qui se raréfient. Alors le petit Lewis a eu droit à un cadeau des pompiers, avec un secret espoir : l’engagement chez les pompiers, c’est à partir de 16 ans…